QUEL LIEU D’ÉLECTION POUR L'EXERCICE DE LA DÉMOCRATIE ? par François Leclerc

Billet invité.

Si « la démocratie, ce n’est pas la rue », comme a cru pouvoir l’affirmer péremptoire Emmanuel Macron, se trouve-t-elle dans les urnes ? Dans des contextes très différents, deux épisodes d’application du droit à l’autodétermination des peuples par referendum, en Catalogne et en Irak, permettent d’en douter. La démocratie n’en sort pas renforcée, confirmant que son exercice pourrait devenir un enjeu grandissant.

Le référendum catalan se tiendra-t-il le 1er octobre prochain, et dans quelles conditions ? Afin de « désarticuler » l’organisation de la consultation, le gouvernement madrilène a multiplié ces jours derniers les perquisitions, les arrestations, les condamnations à de lourdes amendes, et a menacé d’utiliser le délit de « sédition ». Il appelle les dirigeants de Catalogne à « arrêter l’escalade », tandis que Mariano Rajoy déclare que « ils savent que ce référendum ne peut plus se réaliser. Il n’a jamais été légal ni légitime, maintenant c’est plus que jamais une chimère (…) il est encore temps d’éviter de plus grands maux ». Le président catalan, Carles Puigdemont, lui a répondu de manière lapidaire via les colonnes du Washington Post : « Je regrette, Espagne, mais la Catalogne votera sur son indépendance que cela vous plaise ou non ».

En Irak, c’est une toute autre partie qui se joue avec les Kurdes. Dispersés en Turquie, en Irak et en Syrie, ceux-ci aspirent à leur reconnaissance internationale et en cherchent les voies. En Syrie, ils organisent en plusieurs étapes, d’ici janvier prochain, des élections locales dans les territoires du nord et du nord-est du pays qu’ils contrôlent, aux confins avec la frontière turque, dans le cadre de la création en 2016 d’une « région fédérale ». Les Kurdes, qui représentent 15% de la population syrienne, se défendent de toute velléité de partition de la Syrie et assurent que les élections n’excluent pas les minorités de leur région, notamment arabes.

Mais Recep Tayyip Erdogan, le président turc, ne l’entend pas ainsi, son régime ayant classé le Parti de l’union démocratique kurde (PYD) syrien comme une « organisation terroriste ». Également opposé aux ambitions kurdes en Irak, il craint tout ce qui pourrait renforcer la détermination du Parti des travailleurs du Kurdistan turc (PKK), avec lequel se poursuit une guerre civile endémique. Selon lui, la Turquie « n’autorisera jamais » des milices kurdes à créer un État kurde dans le nord syrien.

Il manifeste la même intransigeance vis à vis du référendum organisé lundi prochain par Massoud Barzani, le président du Kurdistan irakien. Celui-ci tirant l’essentiel de ses ressources de l’exportation du pétrole de la région de Kirkouk, dont le contrôle est contesté, le président turc menace de couper l’oléoduc qui permet de les exporter via le port turc de Ceyhan.

Depuis le début, l’affaire a une odeur prononcée de pétrole, le gouvernement de Bagdad ayant décidé en 2015 de supprimer le versement à la région kurde de 17% du budget national, soit 12 milliards de dollars qui représentaient 80% de ses recettes. Il s’en est suivi le projet de référendum qui est dénoncé comme une fuite en avant par certains et comme un moyen de forcer les autorités irakiennes à la négociation par d’autres.

La Turquie, l’Iran et l’Irak ont appelé jeudi les autorités du Kurdistan irakien à annuler le référendum d’indépendance prévu lundi, faute de quoi ils envisageraient de se concerter sur des mesures de rétorsion. Le Conseil de sécurité de l’ONU a exprimé jeudi « sa préoccupation face à l’impact potentiellement déstabilisateur du projet du gouvernement régional du Kurdistan de tenir de manière unilatérale un référendum ». Mais Massoud Barzani refuse toujours de changer de position, rejetant l’ouverture de « négociations sans pré-conditions » appuyée par l’ONU.